Du 2 au 8 septembre 2007, à Johannesburg en Afrique du Sud, a eu lieu le 13e congrès de l’APECA (Association panafricaine des exégètes catholiques)...

Du 2 au 8 septembre 2007, à Johannesburg en Afrique du Sud, a eu lieu le 13e congrès de l’APECA (Association panafricaine des exégètes catholiques) qui avait pour thème " Pauvreté et richesse dans la Bible. Lectures exégétiques dans le contexte de l’Église Famille de Dieu en Afrique ".

Les trente participnts de ce Congrès venaient de onze pays : Afrique du Sud, Belgique, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo démocratique, Côte d’Ivoire, Ghana, Italie, Nigéria et Zambie. Les travaux ont été présidés par S.E. Mgr Cornelius F. Esua, archevêque de Bamenda et président de l’APECA. Les Mélanges S.E. Mgr Monsengwo Pasinya, aujourd’hui nouvel archevêque de Kinshasa, ont été remis au lauréat. Ces Mélanges correspondent aux Actes du douzième congrès de l’APECA sur la sagesse (voir C.E. n° 134, p. 57-58).

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De l’ensemble d’exposés et de discussions, on pourrait retenir les éléments suivants. D’un côté les concepts de pauvreté et de richesse sont culturels, et donc spatio-temporels ; ils sont relatifs, non seulement à la situation sociale d’un peuple ou d’une communauté, mais aussi aux croyances religieuses de l’un ou l’autre. D’un autre côté cependant, au-delà des couleurs culturelles, des dénominateurs communs peuvent être dégagés.

Pauvreté spirituelle et matérielle

Ainsi la pauvreté peut être définie comme un état de dépouillement ou de privation, volontaire ou subi, des biens de ce monde. D’où parfois la distinction entre pauvreté " spirituelle " et pauvreté " matérielle ". Spirituelle, la pauvreté est le résultat d’une option religieuse quand la personne (ou la communauté) concernée décide de prendre distance des biens matériels de ce monde, afin de s’enrichir en vue de Dieu. Sans pour autant nier la nécessité de l’argent et d’autres biens matériels, pareille personne choisit de ne point leur attacher beaucoup d’importance, afin de faire de Dieu (et de sa loi) le plus grand bien et le meilleur qui puisse exister en ce monde. Voilà pourquoi, pareille personne exclut la cupidité de sa vie quotidienne et s’efforce de vivre et de promouvoir la culture de la solidarité et du partage. Bien que spirituel, ce type de pauvreté se manifeste donc aussi au niveau matériel. Pareille pauvreté matérielle est alors une valeur et elle est admirable. Tel n’est pas le cas de la pauvreté matérielle qui déshumanise une personne et que l’on combat. Elle est la privation des biens de ce monde, subie par suite d’une exploitation égoïste et sans pitié des ressources spirituelles, intellectuelles ou matérielles d’une autre personne sans égard pour les obligations de justice. Le résultat final est l’impossibilité pour la personne exploitée de vivre d’une manière digne d’une personne humaine. Pareil état de pauvreté constitue donc une humiliation, un assujettissement et un esclavagisme niant les droits fondamentaux d’un être humain. Les pauvres de ce genre sont pratiquement considérés comme synonymes de dépendants, de nécessiteux, d’indigents, de sales, de personnes vulnérables, de faibles. Dieu et les vrais serviteurs de Dieu se font leurs uniques défenseurs. C’est dans cette perspective que l’on peut mieux comprendre l’expression vétéro-testamentaire des ‘anawîm.

Richesse potentielle ou matérielle

La richesse, quant à elle, est un état de possession potentielle ou réelle d’une multitude de biens matériels ou spirituels. En tant que tels, ceux-ci constituent des moyens mis à la disposition des hommes, afin de rendre la vie en ce monde digne de personnes humaines. Aussi la richesse est-elle souvent employée dans le même champ sémantique que la gloire et la splendeur, la somptuosité et le faste, les solennités et les fêtes. Mais la recherche effrénée des biens et la cupidité égocentrique sont souvent cause des malheurs des autres, source des injustices et des exploitations humiliantes et déshumanisantes à leur égard, et origine des discriminations et des ségrégations sociales. L’arrogance des riches harpagons va ainsi souvent de pair avec la négation de Dieu (ainsi que de sa loi), et leur auto-déification.

D’où les multiples monitions que l’on trouve dans la Bible contre les riches de ce genre, et des exhortations en faveur de l’engagement pour promouvoir la justice sociale dans la possession et l’usage des biens matériels et de l’argent. Le premier responsable pour garantir une gestion équilibrée des biens, un partage communautaire et une solidarité fraternelle, c’est le législateur de la communauté concernée. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la plupart des lois trouvées dans l’A.T., notamment dans le Lévitique et le Deutéronome (par ex., les lois du Jubilé). Le législateur peut cependant manquer à sa mission, quand il est corrompu ou quand il est lui-même impliqué dans les structures d’accaparement et de thésaurisation cupides des biens. Il devient une source de paupérisation et d’aliénation de ceux qui sont déjà faibles. C’est le prophète qui devient dans ce cas le responsable attitré pour veiller et exhorter à la solidarité et au partage entre les puissants et les faibles de la communauté. La plupart des interpellations des prophètes de l’A.T., de celles de Jésus dans les évangiles, notamment chez Luc, et de celles des autres textes du N.T., notamment chez Jacques, sont à comprendre en ce sens.

En cet ordre d’idées, l’unique engagement qui convienne à la mission de l’Église en cette matière aujourd’hui paraît ne pas être celui d’être législateur, mais celui d’être prophétique pour interpeller aussi bien les législateurs défaillants que les riches cupides et corrupteurs. Cet engagement prophétique ne doit cependant pas être jugé inefficace si les personnes interpellées ne se convertissent pas. Il reste au contraire l’unique arme dont disposera toujours l’Église au cours de l’histoire pour défendre la justice sociale entre les individus ou les nations.

Tous comptes faits, quelques principes peuvent être tirés de l’enseignement biblique à propos de la manière dont on possède et utilise l’argent et les biens : en ce monde, on a absolument besoin d’argent et de biens matériels pour accomplir de bonnes œuvres, même celles de Dieu. Mais la recherche effrénée et l’absolutisation de l’argent et des biens matériels conduisent à l’esclavage et à l’asservissement vis-à-vis d’eux et, par la voie de conséquence, à la négation de Dieu et de la dignité des personnes humaines créées à son image et à sa ressemblance. Voilà pourquoi, la meilleure administration de l’argent et des biens matériels est celle qui connaît la relativité de leur valeur vis-à-vis de la valeur absolue de Dieu, et qui les met humblement au service de la promotion de tout être humain, dans l’observance des commandements divins.

Les participants ont noté par ailleurs que la reprise herméneutique des données théologiques dégagées d’analyses exégétiques rigoureuses exige aussi une connaissance scientifique du contexte socio-anthropologique africain. Pour eux, il est nécessaire que la re-contextualisation des messages bibliques soit basée sur des études sociologiques et anthropologiques menées par des spécialistes du domaine. Une collaboration est ici indispensable entre les sciences bibliques et les sciences humaines, non seulement pour éclaircir les contextes historiques de la production des textes bibliques, mais aussi pour illuminer les contextes historiques de leur réception.


© Jean-Bosco Matand Bulembat (Nairobi),, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 143 (mars 2008), "L'Alliance au cœur de la Torah",  p. 70-72.