Jésus ressuscité apparaît aux Onze disciples avant d'être "emporté au ciel" (Ascension)...

Au v. 34, le lecteur a appris que le Seigneur est apparu à Pierre (appelé Simon) avant de se manifester aux disciples d'Emmaüs. Luc compose maintenant une scène qui fera la jonction avec le temps de l'Église, le temps des témoins. Depuis la proclamation : « Vraiment le Seigneur est ressuscité » (v. 34), les verbes n'ont plus « Jésus » ou « Le Seigneur » pour sujet, mais simplement « Lui », « Il », tellement, pour Luc, sa présence envahit le récit.

Lecture d’ensemble.

Dans une première partie (v. 36-43), Luc se préoccupe d'affirmer la présence de Jésus au milieu de ses disciples et de l'affirmer de manière réaliste. La salutation est celle que Jésus avait recommandé aux soixante-douze d'employer : la paix (10, 5). Puis Luc semble affronter des objections sur la Résurrection : « Terrifiés et effrayés, ils pensaient voir un esprit » (v. 37 ; il y a là une résistance de la culture grecque). D'où l'invitation à « palper » et le geste de manger du poisson grillé. L’épisode met en jeu, d’une manière proche de Jn 20, 24-28 (avec Thomas), une question de foi : le Ressuscité, malgré son apparence autre, malgré son appartenance au monde de Dieu, est bien Jésus de Nazareth, le Crucifié. « C'est bien moi » (v. 39, littéralement : « moi je suis moi-même »). Par la suite, la raison de l’incrédulité des disciples devient leur joie (« c’est trop beau pour être vrai ! »). On a là tout le contraire d'hommes prêts à prendre leurs désirs pour des réalités : ils ont été les premiers sceptiques sur leur propre expérience.

Dans une deuxième partie (v. 44-49), Jésus apprend à ses disciples l'importance de se remémorer ses propres paroles et de relire les Écritures pour entrer dans la compréhension du mystère de sa mort et de sa résurrection. Il résume « ce qui est écrit » : d’abord, ce mystère signifie le pardon des péchés pour toutes les nations ; ensuite, la mission est de proclamer ce pardon et d'être témoins ; enfin, pour cela, conformément à la promesse du Père (portée par les Écritures) ils vont recevoir, envoyée par Jésus, une puissance d’en haut.

Dans la troisième partie (v. 50-53), en conclusion de tout l'évangile, Luc raconte à Théophile l'exaltation de Jésus. À Béthanie, là où il avait commencé à être acclamé roi (19, 29s), il les bénit. En lien avec l’évocation précédente de la promesse du Père, le lecteur peut penser à la bénédiction de Dieu pour toutes les nations en Abraham (Gn 12, 3 ; 22, 18). Puis, dans ce même mouvement de bénédiction, il se sépare d'eux et est emporté au ciel. Ce n'est pas la fin de la relation entre Jésus et ses disciples (qui restent pleins de joie), mais la fin de la relation particulière constituée par les apparitions, en cette journée unique où les bénéficiaires ont été les femmes, Pierre, les disciples d'Emmaüs, les Onze et leurs compagnons. Et ce n'est pas une disparition dans un ciel inconnu, mais la participation à la Gloire de Dieu : les disciples le comprennent, puisqu'ils « se prosternent » (grec proskunein, geste que Jésus disait réservé à Dieu seul, lors des tentations en 4, 8).

Luc termine son évangile à Jérusalem, dans le Temple, là où il avait commencé. Les disciples ne font qu'y bénir Dieu sans cesse, apparemment comme le faisaient tous les Juifs. En fait, ils inaugurent la prière chrétienne de louange, celle qu'avait anticipé Syméon en parlant du Salut (2, 28-30). C'est une louange à Dieu pour tout ce qui est raconté dans l'évangile et surtout pour la Résurrection de Jésus. La destruction du Temple ne fera aucun dommage à cette louange car celle-ci est destinée à se répandre dans toutes les nations.

Au fil du texte.

 1) La paix que Jésus souhaite à ses disciples, c'est celle qui accompagne la réalisation du projet de Dieu, celle que chantait les anges lors de la nativité du Sauveur (2, 14). « Va en paix », disait Jésus quand il répondait à une expression de foi. Et pourtant il n'était pas venu apporter la paix sur la terre ! C'est désormais une paix nouvelle, capable d'assumer des oppositions, puisque c'est la paix du crucifié. Presque tous les textes messianiques de l'A.T. parlent de « justice et de paix » (voir le Lectionnaire pour la nuit de la Nativité, p. 00). Mais le Messie n'a eu que trois ans de vie terrestre pour creuser le sillon de cette justice et de cette paix. C'est à l'Église messianique de continuer son œuvre et de répondre ainsi au défi des contradicteurs qui affirment que Jésus ne peut pas être le Messie, puisque la justice et la paix ne sont pas venues dans le monde.

2) Au v. 44, Jésus rappelle ses propos durant son cheminement terrestre : « il faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Prophètes et les Psaumes ». Dans les prophètes, il y a Isaïe, et dans Isaïe il y a le texte lu à Nazara. Jésus avait dit : « Aujourd'hui cette Écriture s’accomplit… » (4, 21). Elle était accomplie dans le sens où reposait sur Jésus l’Esprit Saint, « puissance d'en haut » qu'il va communiquer à ses disciples. Mais elle n'était pas accomplie dans le sens où l'annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres, la libération des captifs et des opprimés restait à faire. Jésus a proclamé le Règne de Dieu, il a sauvé des blessés de la vie, il a dénoncé l'oppression religieuse. Alors pourquoi les consignes du Ressuscité se concentrent-elles sur la conversion et le pardon des péchés (« pardon » et « libération » traduisent le même mot grec aphèsis) ?

Jésus a montré la miséricorde de Dieu aux pécheurs, car le péché est la principale blessure de la vie, celle qui empêche la plénitude de vie et d'harmonie avec Dieu et avec les frères. « Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures » affirme 1 Co 15, 3. Mais il est mort d'abord par les péchés. Il a supporté le refus de la Parole de Dieu, la jalousie, la haine ; il a été victime de la trahison et de fausses accusations ; innocent, il a subi les coups, les insultes et la mort. Prêcher le pardon des péchés, c'est dire que ces péchés-là, d'abord, sont pardonnés et ajouter que la conversion est indissociable de leur pardon. Ils sont toujours à combattre, car les chrétiens ne peuvent pas regarder une victime des injustices sans y reconnaître le Christ aux outrages, représenté par tant d’artistes. Le programme de Nazara reste le programme de l'Église, comme les tentations au désert restent les tentations de l'Église.

3) «…en commençant par Jérusalem » (v. 47) : c'est là que le pardon doit être d'abord annoncé. Le peuple choisi par Dieu a le droit en premier à la Bonne Nouvelle – maintenant complète par la Résurrection. Dans le livre des Actes, Luc prendra soin de montrer que Paul et ses compagnons s'adressent aux Juifs avant de se tourner vers les païens.

4) Les consignes de Jésus et le récit de l'Ascension seront repris au début du livre des Actes des Apôtres de manière différente (Ac 1, 1-11). On y apprend que les apparitions ont duré quarante jours. « La puissance d'en haut » est désignée nommément : l'Esprit Saint. Le récit de l’ascension est moins bref puisque deux anges viennent en donner le sens. Et Luc s'adresse à nouveau directement à Théophile avant de continuer son histoire : « J'ai consacré mon premier livre, ô Théophile, a tout ce que Jésus a fait et enseigné… ».


© Yves Saoût, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 137 (septembre 2006) "Évangile de Jésus Christ selon saint Luc",  p. 106-109.