Le dernier congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (ACFEB) qui s’est tenu à Lyon du premier au 4 septembre 2014 avait choisi de questionner la notion de « peuple de Dieu », valorisée lors du concile Vatican ii. Cette notion a en effet ses ambiguïtés. Quels rapports à Dieu, à soi et à l’autre induit-elle ? Pendant quatre jours, la recherche a été menée par des historiens, des exégètes, des théologiens, chrétiens (catholiques et protestants) pour certains, juifs pour d’autres. Bref compte rendu.

Par Odile Flichy, Centre Sèvres, Facultés jésuites de Paris

Une première conclusion s’impose, au terme de ce congrès : l’histoire s’écrit au présent ! Relire son histoire, c’est dire qui on est aujourd’hui ! Ce congrès nous a offert de vivre une belle expérience de la fonction identitaire de l’histoire. Ainsi, l’histoire du « peuple » du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a continué et continue de s’écrire au sein de notre propre Sitz im Leben, celui d’exégètes-théologiens chrétiens, universitaires et autres serviteurs de la Bible, vivant dans un monde pluraliste post-Vatican ii, sous le signe du dialogue inter-religieux... Un « petit monde » réuni à Lyon, pour un congrès bien enraciné dans la tradition de l’engagement actif de l’Église de Lyon et de sa faculté de théologie pour le dialogue judéo-chrétien.

Une deuxième conclusion touche à l’importance de savoir de quoi parle-t-on quand on parle et de quoi l’autre parle-t-il quand on l’écoute ou le lit ; autrement dit, à l’importance de tenir compte de la polysémie des termes et du contexte dans lequel ils prennent leur sens particulier. Les pièges inhérents aux traductions sont bien connus des exégètes, mais ils se sont révélés ici particulièrement redoutables, au point qu’il est parfois apparu plus judicieux de ne pas les traduire – de parler de « Ioudaioi », de « laos », d’« ethnos » ou de « génos » – ou de risquer des néologismes – « Samariens » à côté de « Samaritains » ! Sans parler de l’éternelle tentation d’appliquer, sans suffisamment de conscience et de discernement, des catégories modernes à des textes de l’Antiquité, comme, par exemple, le binôme universalisme-particularisme ou bien la distinction entre politique et religieux ! Quant au mot « religion », le débat reste ouvert pour savoir comment en parler avec pertinence…

Une troisième conclusion peut être tirée : nous avons, avec enthousiasme, « sauté » ou « plongé » dans une thématique dont la richesse et la pertinence pour la réflexion théologique d’aujourd’hui, ainsi que pour la vie ecclésiale, se sont révélées progressivement au fil des conférences et des débats, selon une cohérence forte, qu’un regard rétrospectif – en l’occurrence le mien, avec toutes ses limites – ne manque pas de saisir.

Ainsi, faisant un petit exercice de relecture de ces quatre jours, je note :

● Au départ, un « contrat », un « projet », proposé par François Lestang (Université catholique de Lyon), énoncé à partir de quelques questions à creuser concernant la thématique du congrès : le « peuple de Dieu ». La première question était : « Quelle nouveauté pour les biblistes ? » Il me semble que, très vite, la question s’est déplacée et qu’au terme de notre travail, la « nouveauté » doive s’entendre du côté du « renouvellement » plutôt que dans le sens d’« opposé à ce qui est ancien ». La « nouveauté » du peuple de Dieu n’est-elle pas de l’ordre d’une identité sans cesse renouvelée au sein d’une alliance elle-même toujours renouvelée ?

● La deuxième question était : « Que met-on sous le terme “peuple” ? » Nous repartons, non pas avec une réponse, mais avec une complexité de réponses dont il ressort clairement que l’expression « nouveau peuple de Dieu » n’est pas sans problème dans un contexte de dialogue judéo-chrétien qui postule que l’« élection » – encore un terme à bien entendre ! – d’Israël est irrévocable. Il en ressort également l’importance d’une réflexion visant à articuler le rapport entre le peuple d’Israël et la terre.

Autant de questions qui invitaient à un dialogue avec l’histoire et la théologie dogmatique à partir du concept de « peuple » et de son présupposé d’une identité commune pour ceux qui en sont partie prenante.

Cette proposition a été honorée de plusieurs manières :

● Par la place majeure accordée à l’histoire et à la démarche historique. Je souligne simplement un bel effet d’inclusion – avec sa fonction de cadre herméneutique – dans la partie vétérotestamentaire des journées : une inclusion entre la conférence inaugurale de Jean-Louis Ska et le parcours « final » de Thomas Römer. De la première conférence à partir de la question « Israël, un peuple comme tous les autres ? » à la dernière à partir de la question « Quelle relation entre Israël et les autres peuples (dans le Dt) ? », nous avons pu retraverser toute l’histoire biblique, pour mieux comprendre le discours sur l’élection et le concept de peuple de Yhwh, parfois combiné avec une idéologie de ségrégation.

● Par la mise en lumière d’enjeux théologiques majeurs, là encore sous forme de questions cruciales à creuser et jamais sous formes de réponses « dogmatiques », enfermantes ou exclusives. Ainsi, « De deux choses l’une, y-a-t-il une ou deux histoires du salut ? » (le titre de la conférence de D. Luciani), une ou plusieurs alliances ? Comment Dieu peut-il être le Dieu de l’univers et avoir une relation spécifique avec Israël ?

● Par des propositions de modèles herméneutiques très suggestifs, comme autant de clés de compréhension pour relire l’histoire passée et présente, pour caractériser le lien avec Dieu : le modèle du maître qui domine versus le Père-époux qui aime, voire cherche à séduire au lieu de punir ; ou encore pour dénoncer nos constructions idéologiques, comme le mythe « exodique » ou le mythe « patriarcal » qui peuvent être, respectivement, selon le contexte, facteurs d’ouverture ou d’exclusion.

● Par de fructueux échanges, témoins de la qualité d’une écoute mutuelle, ou encore par la mise en acte du dialogue judéo-chrétien et de la réception pour aujourd’hui des textes du concile Vatican ii.

En résumé, ce congrès fut l’occasion d’une belle expérience de la relativité du sens des mots, toujours lié à leur enracinement historique et à nos présupposés théologiques et/ou idéologiques.



© Odile Flichy, Cahier Évangile n° 171, Jacob, l'autre ancêtre, p. 56-58.